« Nos données ne sont pas assez propres », « Nous n’avons pas suffisamment d’historique », « Il faudrait d’abord tout digitaliser ».
Ces objections reviennent systématiquement dans les échanges avec nos clients industriels. Elles révèlent une idée reçue tenace : l’intelligence artificielle nécessiterait une base de données massive, propre et parfaitement structurée pour fonctionner.
Cette vision freine de nombreux projets. En réalité, la donnée industrielle est rarement parfaite : elle est souvent partielle, bruitée, hétérogène. Cela n’empêche pas l’IA et la data science de produire de la valeur, bien au contraire.
Générer la donnée plutôt que l’attendre
Une première rupture consiste à abandonner l’idée que l’IA ne peut être mobilisée qu’à partir d’une masse de données préexistantes. C’est vrai dans la plupart des cas connus – un modèle est entrainé à partir de ce qui a été vu par le passé, et devient capable de prédire un output à partir d’une nouvelle combinaison d’inputs.
Cependant, dans de nombreuses situations industrielles, l’enjeu n’est pas de prédire, mais d’optimiser en environnement restreint (surface, main d’œuvre, capacités, machines, stocks, etc.). Les données d’entrée d’un tel modèle ne sont dès lors pas des données historiques, mais bien des paramètres synthétiques que l’on modélise dans un premier temps, pour recréer l’environnement et ses contraintes. C’est dans cet environnement, reconstruit virtuellement, que s’appliquent les modèles d’apprentissage par renforcement ou d’optimisation sous contraintes. Ils permettent de converger vers une stratégie optimale, dans des situations où la dimensionnalité des paramètres devient trop importante pour une intelligence humaine.
Un exemple concret
• Un fabricant aéronautique voit sa charge commerciale fortement augmenter sur les années à venir et souhaite simuler la résilience capacitaire de ses lignes de production.
• Un des goulots identifiés concerne des postes de trempe, dans lesquels des références différentes sont groupées dans un même cycle.
• La modélisation des postes, des références et des contraintes spatio-temporelles a permis à l’équipe de construire un modèle d’optimisation de l’ordonnancement, libérant 30% de capacité sur les postes sans injection de CAPEX.
La complexité combinatoire de l’ordonnancement dans certaines situations industrielles, liée à la diversité de gammes ou des cycles à réaliser sur des postes limités, fait partie des problèmes complexes que la data science peut résoudre.
Elle permet en effet explorer des millions de scénarios en quelques secondes pour converger vers un optimum, bien au-delà de toute capacité humaine.
Des données imparfaites peuvent produire de la valeur
Même lorsque les données sont partielles, bruitées ou hétérogènes, la data science peut apporter de la valeur. D’abord en permettant de reconstituer des ensembles cohérents à partir d’éléments lacunaires. Des modèles d’IA sont utilisables notamment pour détecter les anomalies dans une base de données passée, compléter des séries temporelles manquantes, corriger des biais ou générer des données de substitution.
Un exemple concret
• Un industriel de la défense souhaite analyser sa performance logistique des 10 dernières années, au-delà de l’OTD, déjà à 100%.
• Une première phase du projet a consisté à reconstruire tous les chemins logistiques passés à partir des mouvements tracés dans l’ERP.
• Puis un modèle de machine learning supervisé a permis de mettre en évidence 19% de mouvements erratiques dans les flux logistiques.
La data science peut donc se nourrir de données incomplètes, et les traiter de sorte à les rendre exploitables et en tirer de la valeur.
L’IA industrielle : mathématiques appliquées et pragmatisme
L’intelligence artificielle industrielle ne se résume pas aux outils génératifs, omniprésents dans l’actualité. Elle relève avant tout des mathématiques appliquées et de la résolution de problèmes complexes spécifiques à chaque contexte industriel.
Dans ce cadre, l’IA n’est pas un produit “clé en main” mais une démarche d’analyse, conçue sur mesure. La vraie valeur se joue dans la modélisation algorithmique fine de situations complexes, souvent non reproductibles. Cela implique d’accepter l’incertitude et de privilégier des expérimentations ciblées : preuve de concept rapide, démonstration de valeur, puis déploiement progressif.
Cette rigueur méthodologique constitue la condition clé pour passer de l’idée à la valeur concrète. Ce qui compte, ce n’est pas l’outil, mais son adéquation à la complexité du réel.
Conclusion : L’IA industrielle mérite un nouveau regard
La véritable valeur de l’IA industrielle ne réside pas dans l’accumulation massive de données parfaites, mais dans la capacité à construire, compléter et exploiter intelligemment les informations disponibles. Qu’il s’agisse de développer des modèles sur des données préalablement modélisées pour simuler et optimiser les stratégies industrielles, ou de valoriser des jeux de données incomplets ou bruités, les opportunités sont réelles et accessibles dès aujourd’hui.
Plutôt que d’attendre des conditions idéales qui n’arriveront peut-être jamais, il est temps d’activer l’intelligence artificielle là où elle est le plus utile : au cœur de la complexité industrielle. C’est là qu’elle transforme véritablement la performance.