Découvrez la tribune avec Florent Collet, manager, et Romain Grandjean, partner chez Avencore, sur le sujet de l’industrie des mini-lanceurs, parue dans le Figaro.
Start-up et acteurs historiques se sont lancés dans le développement de petites fusées, espérant s’imposer sur le marché en plein essor des constellations de petits satellites. Il s’agit d’une étape clef pour le spatial européen qui avait, jusqu’alors, joué la carte des lanceurs moyens et lourds.
L’Europe doit transformer son modèle pour rester dans la course spatiale
2025 sera une année fondatrice pour l’industrie des mini-lanceurs spatiaux européens. Si l’Europe veut rester un acteur crédible dans la course au transport spatial, elle devra transformer en profondeur ses modes de financement, de développement et de gouvernance. Si l’échec du lancement de Spectrum de l’allemand Isar Aerospace en mars dernier a marqué un revers, la dynamique européenne reste vive avec plusieurs projets prometteurs : RFA One (Rocket Factory Augsburg, Allemagne), Prime (Orbex, Royaume-Uni) et Zéphyr (Latitude, France). Difficile à ce stade de prédire lesquels réussiront, mais l’enjeu est crucial : il s’agira d’une étape clef pour le spatial européen qui, jusqu’à présent, s’est historiquement concentré sur les lanceurs moyens (famille Vega) et lourds (famille Ariane). À titre de comparaison, Ariane 6 a une capacité de transport comprise entre 10 et 20 tonnes là où un mini lanceur embarque entre 200 kg et 1 tonne seulement.
Un marché en expansion pour l’industrie des mini-lanceurs
Bien que SpaceX ait capté, à lui seul, 87 % du tonnage orbital mondial en 2024 avec 134 missions, les mini-lanceurs peuvent espérer prendre une part significative du marché d’ici 2030. Avec l’essor des constellations de petits satellites, la demande pour des lancements dédiés et flexibles est en croissance, offrant un créneau aux fabricants de mini-lanceurs.
Les avantages stratégiques des mini-lanceurs pour les industriels
Les mini-lanceurs présentent en effet de nombreux atouts. Le premier d’entre eux est de pouvoir placer des satellites plus petits en orbite basse, offrant davantage d’autonomie pour les programmes de lancements. Contrairement aux gros lanceurs, qui doivent embarquer plusieurs satellites de différents acteurs pour être rentabilisés, les mini-lanceurs facilitent des missions ciblées, rapides, adaptées à des calendriers serrés. Le développement de l’orbite basse répond également à une véritable demande du marché, comme la mise en orbite de constellations de mini-satellites pour des opérateurs privés, ou des lancements de CubeSats pour des universités, à des fins d’expérimentations scientifiques à petite échelle. Ce segment permet donc de faire entrer de nouveaux acteurs, et de développer de nouvelles applications, sur le marché du spatial. Dernier atout, et non des moindres, le mini lanceur réduit le délai entre la demande de lancement et l’opérationnalisation du satellite, et permet un « lancement à la demande », car plus simple à fabriquer qu’un lanceur de plus grande capacité.
L’industrie spatiale se repositionne face à ces opportunités
Toutes ces raisons poussent les acteurs conventionnels à se tourner vers les mini-lanceurs, qu’il s’agisse de capter un marché en pleine croissance, mais aussi de bénéficier des financements publics européens dédiés à ce nouveau segment, tout en accélérant ses avancées technologiques. C’est par exemple le cas d’ArianeGroup, qui s’y engage sur deux fronts. D’une part à travers le programme Themis, porté par l’ESA, qui vise à développer un premier étage de mini-lanceur réutilisable, véritable démonstrateur technologique. D’autre part via sa filiale MaiaSpace, jeune pousse du newspace dotée d’une gouvernance autonome et qui développe un mini-lanceur réutilisable : Maia. Propulsé par le moteur Prometheus, fonctionnant au méthane – plus économique que les carburants traditionnels – ce lanceur vise un premier vol en 2026.
Trois défis pour l’industrie européenne des mini-lanceurs
Malgré tous ces atouts, et l’engagement d’acteurs de premier plan, il demeure difficile, aujourd’hui d’affirmer avec certitude que l’Europe spatiale parviendra à percer sur ce segment. Le pari des mini-lanceurs reste en effet audacieux et les acteurs du secteur devront franchir trois obstacles industriels majeurs pour s’imposer. D’abord parvenir à réduire le coût de mise en orbite, pour descendre bien en dessous des 10 000 $/kg. Ensuite, accroître progressivement la capacité d’emport, afin de générer des économies d’échelle et capter un marché de plus en plus large. Enfin, accélérer les cycles de développement.
Financement spatial : vers un nouveau modèle public-privé
Au-delà des choix technologiques, la course aux mini-lanceurs représente pour l’Europe une occasion historique de réinventer son modèle de financement spatial. Le défi : bâtir une coopération efficace entre fonds publics et initiatives privées, pour soutenir des projets crédibles sans diluer les ressources. C’est tout l’enjeu de l’European Launcher Challenge, lancé en 2024. Ce programme entend soutenir un petit nombre de champions — avec jusqu’à 169 millions d’euros par entreprise retenue — en misant sur des critères précis : réutilisabilité du lanceur, choix technologiques (comme le moteur méthane Prometheus), niveau de verticalisation, ou encore compétitivité des coûts. Ce dispositif marque un tournant : un véritable partenariat public-privé, où les financements européens ne visent plus à porter seuls les projets, mais à jouer un rôle d’amorçage et d’accélérateur. Encore timide, cette approche doit être amplifiée si l’Europe veut rester dans la course et ne pas laisser aux seuls acteurs américains ou asiatiques le marché des lanceurs spatiaux.
Une rupture culturelle nécessaire pour innover
La filière doit également adopter une approche plus frugale dans ses développements : pas question de mettre autant de temps à développer un mini-lanceur qu’un lanceur lourd, sous peine de rater tous les marchés. Cela impose une rupture culturelle pour rompre avec le dogme du risque zéro, selon lequel aucun lancement ne doit être tenté sans garantie totale de succès. Le “Test & Learn”, le prototypage rapide, les tests en boucle courte et l’allègement des exigences documentaires doivent devenir la norme pour cette nouvelle génération de lanceurs.
Structurer l’avenir de l’industrie mini-lanceur européenne
La bataille pour le leadership européen dans le transport spatial de satellites est bel et bien lancée mais de nombreuses questions restent en suspens.
Faut-il aller vers une verticalisation plus forte de la filière ? Vers une spécialisation par types de missions et de clients ? Comment garantir une demande institutionnelle suffisante pour faire émerger des champions et assurer la souveraineté européenne ? Le dynamisme du secteur des mini-lanceurs peut-il questionner le principe du retour géographique, qui fige et contraint les grands programmes spatiaux européens ?
La structure compétitive du marché reste à inventer, et cela exigera de faire des choix industriels et politiques structurants.
Dans Le Figaro, Juin 2025.